Christine LACROIX est écrivain et nous fait l'honneur de nous accorder sa Nouvelle "La véritable histoire de Taupinambour".
Nous la remercions pour cela. Cette Nouvelle est légère, toute mignonne, tout public.
Ingrédients : humour, connaissance et émotion.
Au bas de cette page vous pouvez voir les couvertures des ses œuvres. Pour les avoir lues, je peux vous affirmer que c'est excellent !
Son blog :
Place à : La véritable histoire de Taupinambour !
J’ai déménagé cette nuit. Je ne m’entendais plus
avec mes voisins. J’habite les Ardennes-belge. Je suis passée sous une espèce
de frontière, un grillage. Je pense que je suis maintenant en Belgique. Mes
nouveaux voisins sont très bruyants la journée, leurs coups répétés
résonnent dans mes galeries. Mais la nuit c’est le paradis, je suis seule en
mon domaine et les retards chroniques dans le métier du bâtiment devrais me
valoir encore quelques mois de paix.
C’est le jour où mon ancien colocataire décida de
faire pousser « the green » sur ma parcelle en friche que nos
opinions divergèrent. Ma mère m’avait pourtant prévenu.
- Jamais au grand jamais tu ne t’installeras sur
un terrain de golf ou dans un jardin de propriétaire terrien ! Choisi
plutôt une pâture à charolaise ou une forêt de feuillus.
Mais voilà, au bout de deux mois et demi quand je
me suis retrouvée à découvert avec mes trois frères sur le plateau des vaches,
le premier terrain abandonné que mes pelles détectèrent fut le bon. Comment
pouvais-je deviner que des maisons allaient pousser comme des champignons après
mon emménagement ?
Je creusai mon tunnel sous gravats à quinze
centimètres de profondeur dans ce sol meuble. J’étais au régime 6/4 : 4
heures de travail, 4 heures de sommeil, 4 heures de boulot. A chaque quart je
forais deux cent cinquante mètres de souterrains, j’en profitais pour avaler
tout ce qui tombait sur mon passage, vers, larves, chenilles, chrysalides,
mille-pattes, œufs de fourmis. Mais vous allez me dire, c’est bien beau de
faire la guerre des tranchées mais la terre enlevée tu la mets où ? Dès le
départ je m’organisai, je plaquais un maximum de terre aux parois, avec mon
tour de taille respectable, rien de plus facile et le surplus, quand même
quinze kilos les 90 minutes (des spécialistes ont calculé pour moi), je les
envoyais derrière moi. Quand le remblai avait atteint dix fois mon poids, je me
retournais et à grand coup de rein et avec ma seule patte avant droite, mon
groin étant trop fragile, je poussais, je poussais, je poussais, ouf ! Et
voilà le surplus débouchait à l’air libre à vingt centimètres en surface. Une
cheminée d’évacuation tous les cinquante centimètres me suffisait. Je fabriquai
aussi des trous d’aération, une toutes les deux mètres cinquante, pas question
de risquer l’asphyxie. Si l’hiver est trop rigoureux, j’en reboucherai quelques
unes.
J’aménageai aussi ma chambre à coucher, ce
fut la deuxième fois de ma vie que je me retrouvai à découvert après la mise à
la porte familiale. J’avais besoin de garnir ma couche. Je sortis donc lors
d’une nuit sans lune par une cheminée d’aération et je ramassai ce qu’il y
avait à proximité, du foin, des feuilles mortes, un vieux journal l’Equipe, de
la ficelle et de l’herbe. Au bout de quelques semaines mon domaine faisait
plusieurs kilomètres. Allais-je pouvoir m’y retrouver dans ce labyrinthe ?
Oui car j’avais la « taupographie » des lieux dans ma tête et aussi
une astuce de sioux, j’avais uriné pour marquer chaque embranchements.
Mais au fait j’ai oublié de me présenter. Je
m’appelle Taupinambour, j’ai un an et trois mois, je fais dix sept centimètres
queue comprise et je suis un peu ronde. J’ai deux petits trous pour les
oreilles dissimulés sous ma jolie fourrure gris taupe et deux billes noires
pour ma myopie. A l’avant j’ai le plus sophistiqué des détecteurs sensoriels,
un groin tout rose. Deux pelleteuses avec cinq crochets propulseurs, des pattes
arrière plus petites pour avancer et 44 dents pour mâcher la terre abrasive. Il
paraît que c’est à cause de cette terre que mes dents s’émoussent au bout de 4
ans et que je meure faute de pouvoir me nourrir. Mais pour le moment je suis
jeune et je respire la vie à plein poumon, surtout que j’ai un appareil
respiratoire à double capacité comme les plongeurs, il faut dire que dans mes
galeries l’air est raréfié à 10% d’oxygène seulement, mais je compense avec
deux fois plus de sang et d’hémoglobine.
Et voilà j’étais installée depuis un an dans ma
vie underground, mes monticules de terre étaient passés complètement
inaperçus sur ce terrain à l’abandon, bien installée, la guerre des tranchées
pouvait commencer. Je parcourais mes galeries à la vitesse réglementaire de
trois kilomètres six et je chassais à l’odeur tous les hôtes de passage. Même
l’hiver je m’étais organisée, faisant une réserve de lombrics en leur coupant
la tête, ils restaient ainsi immobiles, car privés de centre nerveux. Si au
printemps j’avais négligé de les manger, les morts-vivants se refaisaient une
tête neuve et retournaient à la vie sauvage.
Tout allait bien sous la prairie jusqu’à ce jour
d’août où le thermomètre passa la barre des trente cinq degrés, le soleil
obligea les vers à quitter la surface, ils estivent quand la terre devient trop
dure et moi, me retrouvant sans ressource je due creuser de nouveaux tunnels
pour subvenir à mes besoins journaliers et c’est là que les ennuis ont
commencé.
J’avais déposé un monticule brun tous les
cinquante centimètres sur ce magnifique vert anglais, dessinant un jardin zen
digne d’un maître japonais. Mais voilà, mon voisin était européen et ne
comprenait rien ni à l’art moderne, ni à l’art asiatique. Il poussa les hauts
cris. J’eu beau lui expliquer que j’aidais au drainage du sol et que je
facilitais la pousse de son gazon anglais, que le tout à l’égout naturel allait
aider à l’évacuation de la grosse pluie d’orage qui menaçait de s’abattre cette
nuit et que les salades encore intactes au fond du jardin l’étaient grâce à mon
appétit féroce des bouffeurs de batavia, il ne comprenait rien. Je le menaçais
de demander la nationalité allemande puisque notre espèce est protégée
dans ce magnifique pays depuis 1986. Mais il resta sourd et il se procura
un livre intitulé « Comment se débarrasser des nuisibles de votre
jardin ».
Ce livre conseille au jardinier de percer un trou
dans le toit de notre tranchée et de placer le piège dans la galerie. Comme
nous sommes très à cheval sur les courant d’air, nous nous précipitons pour
colmater la fuite et nous tombons dans le panneau. Les hommes ont inventé toutes
sortes de technique pour nous emprisonner, nous noyer, nous broyer, nous
transpercer, nous étriper, nous attraper une patte ou un groin. Heureusement
dans mon malheur, mon voisin passa rapidement les pages du musée des horreurs
et arriva au chapitre « comment se débarrasser des taupes
pacifiquement ».
Il expérimenta la première méthode. Il planta une
perche au milieu du jardin et déposa sur le faîte une bouteille en plastique.
Le bruit était tellement effrayant quand la bouteille jouait avec la brise que
je m’enfuis à toutes pattes au plus profond de mon tunnel. Mais petit à petit,
ayant analysé le danger inexistant, je repris mes activités usuelles. La
canicule étant toujours là et mes sorties nocturnes pour me ravitailler en eau
et en insectes ne me suffisant pas, j’entrepris de parachever mon œuvre et je
creusais de nouvelles tranchée.
Mon voisin passa à la deuxième méthode. Il
remplit une de mes galeries d’huile de vidange. Je ne vous dis pas
l’odeur ! Surtout pour mon odorat disproportionné. Je rebouchai rapidement
la section défectueuse et en entrepris une autre. Cela ne plût pas du tout à
mon colocataire.
Il reprit sa lecture. Euréka ! Il avait
enfin trouvé la solution. Il retourna tout son garage, il revint avec un fil
barbelé qu’il introduisit dans un de mes passages préférés. Comme j’ai une peur
bleue des pièges, je fermai cette bouche de métro et en construisit une autre
un peu en dessous de la première. Les trois nouveaux monticules bruns sur la
pelouse verte rendirent mon voisin fou de colère. Il reprit sa lecture par le
début. Il se mit à confectionner un piège avec un tuyau, des pointes acérées et
une vis à écrou. Cette fois-ci je paniquai, je pris mes pattes à mon cou et je
passai la frontière.
Mon nouveau domaine ressemble comme deux gouttes
d’eau à ma première résidence. J’ai repris mon ancien rythme, les 4/6, métro,
dodo, boulot. J’ai trouvé des feuilles mortes, des copeaux de bois, de l’herbe
et une page déchirée de la Hulotte pour décorer ma chambre. Le déménagement m’a
beaucoup fatigué mais maintenant je suis installée et j’ai repris mes
déambulations dans mes galeries, la température extérieure est redescendue à
vingt degrés et les lombrics tombent comme des mouches le long de mes boyaux.
Mais au mois de mars, vers le 6 de 9h du matin à
10h le lendemain exactement, je me sentis toute drôle. Les spécialistes
appellent cela les chaleurs et il parait que ça dure 25 heures chez la famille
des talpidés et ne se produit uniquement qu’au mois de mars. C’est eux qui le
disent. Toujours est-il que je me sentais bizarre ce matin là.
En fait, depuis le mois de février c’était
l’effervescence de l’autre côté de la frontière. Les mâles en rut qui avaient
mis leur montre à l’heure d’hiver s’activaient, creusant tous, ils étaient
trois, de nouvelles galeries dans ma direction. Il faut dire que vingt cinq
heures pour féconder une femelle, le défi est de taille. Plus question de faire
les 4/6, le mâle travaille sans relâche, il dort là où il s’écroule quand
l’épuisement le prend et reprend dès qu’il se réveille. Alors ça forait, ça
forait, ça forait ! Le 6 mars à 11h30 du matin Risottaupe tenta le tout pour
le tout, en retard déjà de plus d’une heure, il remonta à l’air libre, à ces
risques et périls, et continua son sillon près de la surface beaucoup plus
facile à creuser, dessinant à la vue de tous et surtout à la vue perçante de la
buse son parcourt du rut. Tricérataupe le talonnait de près, mais ne prit pas
le risque de se faire découvrir et continua sa trace d’amour en profondeur.
Risottaupe arriva le premier, notre coup de
foudre fut immédiat mais je dois dire bref car au bout d’une heure il s’en
retourna dans son pays. Tricérataupe voyant la place prise bifurqua vers une
autre destination, il avait encore vingt deux heures devant lui. Il tomba
amoureux d’une voisine prénommée Taupless. Pataupe se présenta à mon domicile à
la 26ème heure. Il fut reçu à coups de pelles, de crocs et de griffes. Quand
c’est plus l’heure, c’est plus l’heure. Il ne trouva pas de fiancée cette année
là.
Début avril, trente jours après la visite de mon
mari, je me sentis de nouveau toute drôle, depuis quinze jours déjà je me
trouvais ballonnée. J’avais beau faire attention à mon régime, jamais deux vers
à la fois, je faisais un kilomètre de jogging par jour dans mes souterrains, je
n’arrivais pas à maigrir. Je m’étais pourtant activée depuis quelques semaines.
Il faut que je vous dise, je m’étais construit une petite folie, une chambre
sans vue et sans issue de secours, allez savoir pourquoi. Elle était si
confortable que je m’y installai. Et voilà que quatre souriceaux me sortent du
ventre. Vous parlez d’une surprise ! Quatre adorables coquelicots de trois
grammes et demi. Je décidai de les adopter et de leurs trouver des noms
Taupaze, Taupeten, Aristaupe et Taupique. Puis je redoublai mes efforts pour
nourrir tout ce petit monde. Au bout de trois semaines ils avaient atteint le
confortable poids de soixante grammes.
Ils en étaient si émus qu’ils en changeaient de
couleur chaque semaine passant du rouge coquelicot de la naissance aux pétales
de rose, puis au gris bleuté et finalement ils adoptèrent tous le noir. Un peu
triste comme choix final, après être passé par de si joli ton de l’arc en ciel,
non ?
Maintenant le mois de mai touche à sa fin. Mes
enfants ont aujourd’hui deux mois et demi. Ils ont épuisé mes réserves de
carabes, vers « fil-de-fer », larves de tipules, bibions, vers blancs
de hanneton, courtilières. Puis ils deviennent bien encombrants. C’est qu’ils
ont pris de l’embonpoint depuis leur naissance. La cohabitation devient
difficile. Une nuit où je n’arrivais pas à dormir je les mis tous les quatre à
la porte ou plutôt à la cheminée, comme le père Noël, ouste ! Dans le
conduit d’aération.
J’appris même que Taupaze avait investi mon
ancienne demeure, trouvant les galeries inoccupées, elle entreprit quelques
travaux de réaménagement et s’y installa sans trop d’effort, alors que ses
frères durent creuser chacun deux cent cinquante mètres de tunnel pour pouvoir
jouir d’une vie confortable.
L’année suivante je donnais à nouveau naissance à
quatre rejetons. Quatre est notre chiffre porte bonheur. Les pattes, le rythme
du sommeil, les heures de boulot, les enfants, le cycle de la vie, même nos
dents (pour celui qui n’a pas bien suivi depuis le début, je me répète, mère
nature nous en a fourni 44 mais pas très solides), tous va par quatre dans la
vie d’une taupe.
Mais aujourd’hui j’ai 4 ans et 3 mois. Voilà
quinze jours que je n’arrive plus à manger. Mes dents sont usées et aucun
dentiste n’a de rendez-vous disponible avant un an. Mes forces me quittent, je
vais me retirer au fond de mon trou. Pas besoin de m’enterrer, j’y suis déjà.
Je sais que Taupaze a des ennuis avec mon ancien colocataire. Elle va passer la
frontière cette nuit et s’installer chez moi.
Christine Lacroix
(Écrivain)
De Reims - Marne (51)
De Reims - Marne (51)
J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir la vie de taupinambour, c'est adorable, bien documenté et la fin m'a émue .... J'ai comme qui dirait un peu transpiré des yeux, encore !!! merci pour ce partage, encore une petite pépite découverte par Chantaloup !
RépondreSupprimerCoucou Céline,
SupprimerMoi aussi la fin m'a fait mal au coeur, mais ... c'est la vie.
On ne voit pas les taupes de la même manière lorsque l'on a lu ça.
J'ai repéré une autre petite pépite chez toi aussi. Je te tiens au courant dès que possible (retraitée débordée) !
Bisous
J'aurais aimé une fin de conte de fées mais la vie ne fait pas de cadeau surtout aux animaux dans notre monde d'égoïstes; Alors j'ai pleuré . repose en paix petite Taupe !
RépondreSupprimerBen oui ma Zoé. Mais c'est l'âge de vie d'une petit taupe. 4 ans ... C'est court.
Supprimerça devrait être une autre mort, mais .... On ne choisit pas.
Gros bisous
Coucou ma Chantaloup
RépondreSupprimerJe suis en pause... Oui mais de l'ordi de mon mari, je te poste un commentaire car je connais Christine et j'ai 2 livres d'elle dans ma bibliothèque féline et je peux te dire que je les aime ! Pauvre petite taupe... Une histoire touchante bien écrite. Merci de nous la faire partager. Des bisous du lundi
Béa kimcat
Béa, il faut prendre l'ordi de ton mari et lui refourguer l'autre !
SupprimerCe n'est pas cool finalement la vie des taupes. Entre les jardiniers qui leurs mènent la vie dure et leur fin ...
Moi aussi j'aime bien cette petite taupe. Les livres de Christine aussi. J'apprécie vraiment.
Gros bisous
Une belle histoire entre le conte et la réalité , tendre et captivante.Merci Chantaloup pour ce beau partage .Douce soirée, bisous
RépondreSupprimerC'est exactement ça. Entre le conte et la réalité.
SupprimerMerci de ton gentil commentaire.
Bisous
Chantaloup
Quelle belle histoire, toute douce ,
RépondreSupprimerTrès agréable à lire
Merci de cette jolie narration de vie
C'est naïf et sain à la fois .
Bisous Chantaloup
Je trouve aussi que l'histoire de cette petite taupe est très agréable à lire.
SupprimerL'Auteur sait nous tenir en haleine !
Gros bisous !
Chantaloup
Très belle histoire que j'ai dévoré, car très vite captivée par le récit. Merci pour le partage et bravo à l'auteur ! "taupographie" : j'adore !!! Bien trouvé. Bises.
RépondreSupprimerChristine a du succès avec sa petite taupe !
SupprimerElle va être ravie.
Je suis d'accord avec toi, l'histoire est captivante.
Gros bisous
Chantaloup
Je suis ravie de tous ces commentaire enthousiastes. CHRISTINE LACROIX
RépondreSupprimerC'est bien mérité Christine !
SupprimerBisous